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Les savoirs partagés
25 novembre 2020

Utile et joli : le petit Lu par Annie Rouault

A

Utile. C’était le nom de la créatrice de l’entreprise pour laquelle j’ai travaillé toute ma vie. Mademoiselle Utile a épousé Monsieur Lefèvre et ils ont créé la pâtisserie puis l’entreprise Lefèvre-Utile. Leur fils, un vrai génie, a inventé « Le » gâteau, célèbre entre tous : le petit beurre ! Je connais tout ça par cœur, moi, ouvrier qualifié pendant 40 ans chez LU, à côté de chez moi à Nantes. Et je peux vous dire une chose : finalement 40 ans ça passe très vite et mon histoire ne mérite pas plus qu’une simple feuille de papier, c’est comme un petit Lu, tu croques, tu savoures un instant et c’est déjà fini.

 

Quand je me suis marié, j’ai dit à Mireille, ma femme :

« Ne compte pas sur moi pour faire une grande carrière. Je suis un petit et je veux rester petit, sans histoires, sans problèmes. Les Lefèvre-Utile tiennent bien leur affaire et moi j’entretiens les machines à fabriquer les petits beurre. J’ai ma paye alors je vais pas chercher autre chose. Un travail, une famille, un pavillon, c’est tout ce que je veux. »

Elle a dit oui. On a acheté un pavillon pas trop loin de l’usine et de la Loire entre Nantes et Saint Nazaire. Les enfants sont arrivés.

La marée monte parfois jusqu’à notre jardin. J’ai creusé une piscine mais elle n’a pas beaucoup servi. Le soir je vais au fond de mon jardin pour regarder les roseaux près de la Loire et toute la faune des marais qui habite là. Mireille cultive des légumes et des fleurs. J’ai construit une cabane dans la haie de saules, pour les gosses, et pour moi. Tout est là, encore maintenant, sauf les gosses qui ont grandi.

On en a mangé des petits Lu ! Des loupés bien sûr. Parce qu’un petit beurre a 52 dents pour 52 semaines, 4 gros coins pour 4 saisons, 24 petits trous pour 24 heures et il doit mesurer 7 cm pour les 7 jours de la semaine. Les gens ne le savaient même pas mais au contrôle quand il manquait une dent ou si un coin était trop petit, les trous pas assez marqués, le petit beurre ne partait pas à la vente et nous, les ouvriers, on profitait de l’aubaine. On en a mangé des petits beurre à 50 semaines ou à 3 saisons ! Les enfants en avaient marre. Même le dimanche leur mère était devenue la spécialiste des puddings aux petits beurre !

J’ai fait les trois huit quand l’usine tournait jour et nuit. Les grosses machines doivent toujours être surveillées, entretenues et réparées. On m’appelait « Clé à molette » parce que les manches des outils dépassaient des poches de mon bleu de travail.

On aurait pu se contenter de poursuivre notre train-train chez Lu. Mais non. Le profit et la concurrence sont mauvais conseilleurs. Les patrons se sont fait entourlouper. Le fric et le goût du fric ça vous tue. On agrandit l’usine, on déménage, on modernise, on est vendu et racheté et revendu. Nous les petits on était bien syndicalistes pour se défendre mais on jouait pas dans la même cour. Finalement c’est les américains qui ont racheté. Adieu Madame Lefèvre-Utile. Pauline. Celle par qui tout a commencé avec son mari, celle qui vendait des boudoirs dans des coupes en verre ou en cristal dans son premier magasin. Son portrait était dans l’entrée principale, assise à côté de son mari. Ils doivent se retourner dans leur tombe. Tout a changé.

Heureusement pour moi c’était l’heure de la retraite. J’ai rangé mon bleu de travail et mes clés à molette. J’ai abandonné mes machines que j’écoutais tourner comme des horloges bien huilées et je ne mange plus de pudding aux petits beurre le dimanche. Le petit beurre, ce gâteau si simple, gentiment couleur de blé et du temps qui passe.

Autrefois avec les enfants, quand ils étaient petits, on croquait d’abord les 4 saisons. C’était un jeu.

-«  J’ai mangé l’hiver disait ma fille.

Son petit frère croquait deux fois.

-Et moi ?

- Le printemps et l’automne.

- C’était bon, mmm.

Alors je racontais comment on les fabriquait et je leur parlais des trains de petits beurre dorés sur la chaîne de fabrication. Jour et nuit les petits trains défilaient sans fin. Je devais répéter le nombre de semaines, on les comptait pour vérifier. On comptait les heures aussi et avec les petits trous c’était difficile, on arrivait rarement à 24.

Mon fils croquait alors la quatrième saison, regardait son gâteau écorné, un peu mouillé et disait :

  • Moi je ferai comme papa, je fabriquerai des « petits beu » parce que c’est joli. »

Annie Rouault Scipiannie, octobre 2020

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Commentaires
C
Très joli texte toute une histoire
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